Non, le Bénin n’a pas le deuxième taux de pauvreté le plus faible de l’UEMOA

En conférence de presse, le jeudi 16 juillet 2020, le ministre d’État béninois chargé du Plan et du développement, Abdoulaye Bio Tchané, a laissé entendre que le Bénin est le deuxième pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ayant le plus faible taux de pauvreté. Cette nouvelle s’est répandue dans les journaux (Nouvelle Tribune, Bénin Web TV).

Bénin Check a vérifié l’information ci-dessus et a découvert que ce n’est pas vrai.

La Commission de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) met en œuvre, à travers son département  des Politiques économiques et de la fiscalité intérieure, le Programme d’harmonisation et de modernisation des enquêtes sur les conditions de vie des ménages (#PHMECV). Ce programme appuyé par la Banque mondiale ambitionne de rendre fiables les statistiques liées à la pauvreté, dans les huit pays de l’Union. Il consiste notamment à réaliser, en deux éditions, des enquêtes dénommées « Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) ». Ces enquêtes devront utiliser des outils de collecte modernes, harmonisés et respectant les normes et standards internationaux. La collecte des données, entrant dans le cadre de la première édition, a été organisée en deux vagues. Elle s’est déroulée simultanément dans les huit Etats membres de l’Union sur la période de septembre à décembre 2018 pour la première vague et d’avril à juillet 2019 pour la seconde. Comme particularité, elle se base sur un échantillon représentatif (variant de 5 300 à 13 000 ménages selon les pays) permettant d’assurer la significativité des indicateurs au niveau national. Au Bénin, elle a été lancée officiellement le vendredi 12 octobre 2018.

DEUX APPROCHES DIFFÉRENTES

Au terme de la collecte des données, effectuée pour le compte de la première édition de l’EHCVM, des indicateurs de pauvreté ont été calculés suivant deux approches différentes.

La première approche s’est focalisée sur le seuil international de pauvreté qui est de 3,2 dollars ($3,2) par personne et par jour en Parité du pouvoir d’achat (#PPA) de 2011. Elle a permis d’évaluer, en pourcentage (%), les incidences de pauvreté comparables entre pays. L’incidence de pauvreté est la proportion d’individus vivant en dessous du seuil de pauvreté. En d’autres termes, c’est le taux de pauvreté.

La seconde approche s’est basée sur un seuil national de pauvreté construit pour chaque pays. Ledit seuil national de pauvreté a été utilisé pour évaluer les indicateurs de pauvreté tels que l’incidence de la pauvreté nationale en %, l’indice de Gini et l’indice d’inégalité interdécile P90/P10. L’indice de Gini rend compte de l’inégalité de la répartition du revenu dans la population. Plus, il est élevé, plus l’inégalité est grande. « La situation idéale est d’avoir un indice de Gini égal à 0 », explique le statisticien Maurice Koyo. L’indice d’inégalité interdécile P90/P10, d’après le directeur du centre statistique de la Commission de l’UEMOA et coordonnateur du PHMECV, Namaro Yago, renvoie au rapport entre les revenus d’un riche et d’un pauvre.

LES SEUILS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX DE PAUVRETÉ, LA PPA

Selon la Banque mondiale, les seuils nationaux de pauvreté reflètent, en règle générale, la somme d’argent nécessaire aux habitants d’un pays pour satisfaire leurs besoins essentiels sur le plan de l’alimentation, de l’habillement et du logement. 

« Pour connaître le nombre de personnes dans le monde vivant dans la pauvreté, on ne peut pas juste additionner les taux de pauvreté de chaque pays. Cela reviendrait à utiliser un instrument de mesure différent pour identifier les pauvres dans chacun des pays. Nous avons donc besoin d’un seuil qui mesure la pauvreté dans tous les pays avec un même étalon », apprend l’institution de Bretton woods.  Ce seuil dit international est ressorti, pour la première fois, à 1 dollars en 1990. Il découle de la  conversion dans une monnaie commune, en utilisant des taux de change en PPA, des seuils nationaux de pauvreté d’un certain nombre de pays parmi les plus pauvres du monde.

La parité de pouvoir d’achat (PPA), à en croire la Banque mondiale, permet de transposer le revenu et la consommation de chaque pays dans des termes comparables au niveau mondial. Ce taux de conversion est calculé en collectant des données sur les prix dans l’ensemble des pays du monde. C’est le Programme de comparaison internationale (PCI) qui est chargé de collecter ces données et de déterminer les PPA pour une année donnée. Le PCI est un programme de statistique indépendant, qui dispose d’un Bureau mondial hébergé par la Banque mondiale.

LE BÉNIN  4ÈME DANS L’ESPACE UEMOA

D’après la note de communication des résultats de la première édition de  l’EHCVM publiée le 13 juillet dernier, l’incidence de pauvreté (taux de pauvreté), suivant le seuil de $3,2 PPA 2011, s’établit à 47,5 % pour le Bénin. Ce qui voudra dire que près de la moitié des Béninois vivent dans la pauvreté. Le pays est talonné par le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Mali avec respectivement 32,6%, 33,5% et 47,0% qui sont les taux les plus faibles de l’UEMOA. Il devance le Togo, la Guinée-Bissau, le Burkina Faso et le Niger avec respectivement 50,4% ; 56,2% ; 63,0% et 75,5% qui sont les proportions les plus élevées de l’Union.

L’incidence de pauvreté, suivant le seuil national de 246 542 FCFA (annuel), s’établit à 38,5%. Autrement dit ; 38,5% de Béninois disposent d’un montant inférieur à 676 FCFA par jour, pour satisfaire leurs besoins essentiels sur le plan de l’alimentation, de l’habillement et du logement. Ce taux se fixe à 37,8% au Sénégal. II ressort à 39,4% pour la Côte d’Ivoire ; 40,8% pour le Niger ; 41,4% pour le Burkina Faso ; 42,1% au Mali ; 45,5% au Togo et 47,7% en Guinée-Bissau.

Au sujet de l’indice de Gini, la répartition inégale des revenus atteint le niveau de 0,347 au Bénin. Cette inégale répartition franchit le cap de 0,316 en Guinée-Bissau; 0,332 au Mali; 0,350 au Niger; 0,351 en Côte d’Ivoire et au Sénégal; 0,381 au Togo puis 0,386 au Burkina Faso. 

Les résultats montrent qu’au Bénin, un riche gagne 4,557 (indice d’inégalité interdécile P90/P10) fois plus qu’un pauvre. En guise d’exemple, lorsque le revenu d’un pauvre est de 500 FCFA par jour, celui du riche est de 2 279 FCFA au moins. Ce coefficient est de 3,855 en Guinée-Bissau. Il est de 4,234 au Niger; 4,294 au Mali; 4,391 au Sénégal; 4,730 en Côte d’Ivoire ; 4,973 au Burkina Faso et 5,344 au Togo.

COMMENT BIO TCHANÉ S’EST PLANTÉ

Lors de sa conférence de presse, en date du 16 juillet 2020, le ministre d’Etat béninois chargé du Plan et du développement, Abdoulaye Bio Tchané, a déclaré : « Nous avons reçu une  bonne nouvelle de l’UEMOA. Cette nouvelle dit que le Bénin dans l’UEMOA est le deuxième pays où la pauvreté est la moins élevée après le Sénégal ». Dans cette déclaration de l’autorité ministérielle, l’extrait « Nous avons reçu une bonne nouvelle de l’UEMOA » oriente sur l’origine de son information. Alors, Abdoulaye Bio Tchané se serait basé sur des travaux de l’UEMOA.  Or, l’EHCVM, dont les résultats ont été publiés le 13 juillet 2020, quelques jours avant la conférence de presse du ministre, est la récente activité statistique exécutée par la Commission de l’UEMOA. Se référant à ces résultats, il faut remarquer que deux différents taux de pauvreté ont été calculés de deux différentes manières. Un taux de pauvreté est obtenu à partir des seuils nationaux et l’autre, issu du seuil international de pauvreté ($3,2 PPA 2011).

Tenant compte de l’incidence de pauvreté évalué grâce aux seuils nationaux, le Bénin (38,5%) est effectivement le deuxième pays, de l’UEMOA, où la pauvreté est la moins élevée après le Sénégal (37,8%). Mais cette comparaison devient erronée au regard de quelques éléments contenus dans la note de communication des résultats de l’EHCVM. Ladite note indique : « Il faut souligner  que les indicateurs de pauvreté monétaire calculés sur la base des seuils nationaux ne sont pas comparables entre pays, étant donné que les seuils de pauvreté qui sont à la base des calculs dérivent des habitudes de consommation strictement nationales.». Ce qui voudra signifier qu’aucune comparaison fiable ne peut être faite entre les incidences de la pauvreté en %, les indices de Gini et les indices d’inégalité interdécile P90/P10, obtenus sur la base des seuils nationaux de pauvreté. Abondant dans le même, le directeur du centre statistique de la Commission de l’UEMOA et coordonnateur du PHMECV, Namaro Yago, explique : « Pour ce qui est de la comparaison, ce qui est dit dans la note, c’est ce qui est professionnel d’observer pour deux raisons majeures: Le panier de consommation est propre à chaque pays. C’est la valorisation de ce panier qui est à la base du seuil de pauvreté qui est la ligne à laquelle on se réfère pour distinguer les pauvres des non pauvres – Même si c’étaient les mêmes paniers, il faut tenir compte de la différence de prix entre les pays. La pintade coûte 3000 FCFA à Ouagadougou et 6000 FCFA à Abidjan. » Pour assurer la levée de ces deux éléments qui s’opposent à la comparaison des taux nationaux, poursuit-il, on a calculé le taux à 3,2$ en PPA 2011. « Cette ligne est établie au plan international et tient compte des différences de niveau de prix. C’est donc ces taux de pauvreté qu’on peut comparer », martèle Namaro Yago.

Ainsi, le ministre d’Etat béninois chargé du Plan et du développement, Abdoulaye Bio Tchané, devait plutôt dire que le Bénin est le quatrième pays de l’UEMOA où la pauvreté est la moins élevée après le Mali.

Cette vérification de faits a été rédigée et approuvé pour publication par le Fondateur de Bénin CheckDélofon Toussaint HOUETOHOSSOU

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